MÉMOIRE DE DEXTERITY VENTURES

Synopsis

Le document présente des recommandations visant à encourager une relance économique soutenue au Canada, grâce au développement et au soutien des entreprises sociales à but lucratif. Il comporte une description de modèles américains et britanniques qui ont fait leurs preuves, la présentation de plusieurs entreprises sociales canadiennes à but lucratif qui contribuent à l'économie canadienne en créant des emplois et en gérant des investissements, et l'esquisse d'un programme visant à favoriser le développement des entreprises sociales.

Trois recommandations prioritaires

1.    Adopter une loi reconnaissant un nouveau type d'entreprise dont la vocation serait de faire des affaires, de servir l'intérêt collectif et d'encourager les investissements provenant de fondations privées et d'investisseurs accrédités ou non.

2.    Créer un programme d'incitatifs pour les investisseurs prêts à s'engager dans des entreprises sociales à but lucratif.

3.    Mettre en place un cadre de responsabilisation plus efficace, qui permettrait aux organismes caritatifs de mesurer et de faire connaître leur impact dans la société, et également de fournir des données actualisées sur ce qu'il leur en coûte pour collecter chaque dollar et sur leurs frais généraux souvent peu révélateurs.

Terminologie

Qu'entend-on par corporation sociale, entreprise sociale et entreprise communautaire?

Les entreprises sociales ont toujours fait partie du tissu économique du Canada. Toutefois, ce n'est que récemment que l'idée qu'une entreprise en bonne et due forme puisse faire des affaires et servir en même temps l'intérêt collectif a fait son apparition dans le vocabulaire commercial. Au cours des dernières décennies, plusieurs grandes puissances mondiales se sont rendu compte de la nécessité d'offrir des incitatifs et des structures aux entreprises qui placent les intérêts de la collectivité et de la société au centre de leurs opérations. Ces entreprises se distinguent des organismes caritatifs en ce qu'elles conservent la vocation de faire des profits et de verser des dividendes à leurs investisseurs.

Corporation sociale

« Les corporations sociales à but lucratif sont des entités juridiquement constituées, à but lucratif, qui ont pour vocation explicite de servir une cause sociale.  Leur objectif principal est d'avoir un impact social, mais leur finalité lucrative les oblige à tenir le cap sur deux fronts : les objectifs sociaux et les objectifs financiers qui doivent guider les décisions de gestion et garantir le succès. »[1]

Entreprise sociale

Il s'agit d'une entreprise gérée par un organisme caritatif. Les magasins d'articles d'occasion que gère l'Armée du Salut en sont un exemple. Les profits de ces entreprises sont réinvestis dans les activités caritatives de l'organisation afin d'en améliorer les programmes et les services.

Entreprise communautaire

« Organisations ou corporations dont la vocation principale est sociale ou environnementale mais qui utilisent des méthodes et des stratégies commerciales pour résoudre des problèmes sociaux. L'entreprise communautaire est en quelque sorte une passerelle entre l'État et le marché. »[2]

Énoncé du problème

À l'heure actuelle au Canada, aucun texte législatif, provincial ou fédéral, ne définit clairement ce type d'entreprise. Pour que notre pays puisse s'imposer sur les marchés internationaux grâce à des innovations dans le secteur de la santé, de la fabrication, de l'agriculture, des services financiers, de la vente au détail, de l'énergie, etc., nous devons réfléchir sérieusement à la façon dont nous pouvons promouvoir, appuyer et encourager les entreprises sociales.

Ces entreprises ont en commun un certain nombre de choses.[3]

·         Elles ont une mission ou un objectif social.

·         Elles veulent atteindre cet objectif social en faisant des affaires, tout au moins en partie.

·         Elles détiennent parfois des avoirs et des richesses en fiducie dans l'intérêt de la collectivité.

·         Elles font démocratiquement participer des membres de leur clientèle à la gestion de l'organisation.

·         Ce sont des organisations indépendantes qui rendent des comptes à une clientèle bien définie et à la collectivité dans son ensemble.

Modèles des États-Unis, du Royaume-Uni et du Canada[4]

États-Unis -- B-Corporations (corporations de bienfaisance) et Low-Profit Limited Liability Company (L3C) (entreprises à faible profit et à responsabilité limitée)

Le président Obama a déclaré que « tout le monde doit mettre la main à la pâte, et le gouvernement ne peut pas à lui tout seul résoudre tous les problèmes du pays... Il est donc impératif de nouer des partenariats avec les citoyens, les groupes à but non lucratif, les entrepreneurs sociaux, les fondations et les corporations pour relever les grands défis qui se posent à notre pays. [Il nous faut] trouver de nouvelles solutions à de vieux problèmes, et c'est là que l'innovation sociale peut jouer un rôle unique. »[5]

Beneficial Corporations (B-Corp)

Les B-Corps ne sont pas des entités définies par la loi mais plutôt des entreprises qui ont subi le processus d'accréditation du B-Lab, organisation indépendante qui a son siège aux États-Unis. Cette accréditation permet aux consommateurs et aux investisseurs de repérer les entreprises qui se sont donné une mission sociale et environnementale. Bien que le B-Lab ait son siège aux États-Unis, il peut accréditer les entreprises canadiennes qui le demandent. Comme l'indique le site Web du B-Lab, une entreprise doit répondre à trois critères pour pouvoir être accréditée :[6]

·         Respecter des normes transparentes et précises en matière de performance sociale et environnementale

·         Élargir juridiquement la portée de ses responsabilités commerciales afin de prendre en compte les intérêts des actionnaires

·         Défendre les intérêts des entreprises durables et des entreprises sociales à but lucratif sous la bannière rassembleuse de l'accréditation B-Corporation.

L3C

Contrairement aux B-Corps, les L3C ont une structure définie par la loi, qui s'inspire du modèle des LLC (société à responsabilité limitée). Ce type d'entreprise est régi au niveau des États et s'occupe principalement de gérer les risques que présentent pour les investisseurs les sociétés qui affichent un RI se situant entre 1 et 5 %. Ce modèle a la particularité de permettre aux fondations privées d'investir une partie de leur contingent de versements dans ces entreprises à première vue plus risquées, mais dont le  RI sera malgré tout réinvesti dans la fondation caritative.  Cette plate-forme d'investissement a deux objectifs :

1.    Permettre à de jeunes corporations sociales à but lucratif de collaborer étroitement avec les organismes caritatifs qui investissent dans leurs activités, et aussi d'être un fournisseur potentiel d'autres organismes caritatifs ; et

2.    Reverser à la fondation un RI qui reflète à la fois les objectifs sociaux de la fondation et les objectifs financiers des investissements initiaux. Résultat : de nouveaux investissements arrivent sur le marché, qui encouragent une économie viable tout en venant en aide à des organismes caritatifs oh combien nécessaires.

R.-U - CICs (sociétés d'investissement communautaire)

« Il s'agit non pas de faire l'aumône, mais plutôt d'encourager un nouveau marché autonome à se développer sans intervention de l'État. Nous souhaitons que les citoyens et les gestionnaires de notre épargne aient davantage la possibilité de faire des investissements sociaux. Les fonds qui sont investis dans les nouvelles entreprises sont le moteur de notre économie, et il en sera de même avec les entreprises sociales. Le marché ne changera pas du jour au lendemain, mais il acceptera petit à petit que des corporations sociales se développent et relèvent de nouveaux défis. Nous ferons tout ce que nous pouvons pour que cela arrive. »[7] C'est ce qu'affirment les députés Nick Hurd et le très honorable Francis Maude dans une lettre exposant les contours de la stratégie d'investissement du Royaume-Uni pour développer le marché social.

Les sociétés d'investissement communautaire opèrent dans les secteurs où le gouvernement et les entreprises à but lucratif n'interviennent pas, pour toutes sortes de raisons. Elles peuvent prendre la forme de ce que nous appelons un partenariat 3P, mais elles s'intéressent à un problème social bien précis de la collectivité.

Que se passe-t-il au Canada?

La situation n'est guère réjouissante…  Nous sommes à la traîne derrière les grandes puissances mondiales qui ont fait le choix délibéré d'investir dans les entreprises qui veulent stimuler l'économie par le changement social. Il y a toutefois quelques poignées d'individus, d'entreprises et d'organisations qui œuvrent directement sur le terrain pour résoudre les problèmes sociaux.

·         Le Taskforce for Social Finance, qui a son siège à Toronto;

·         Vancouver est sans doute la ville la plus active, qui compte plusieurs fonds, banques et entreprises dans ce secteur;[8]

·         Type de partenariat avec ou sans but lucratif avec le MaRS Institute et le Centre for Social Innovation;

·         À Calgary, il existe une initiative populaire qui s'appelle Social Innovation Hub Calgary.

Pour que ces organisations puissent opérer de véritables changements, il faut que le gouvernement fédéral adopte des politiques en ce sens. Dans certaines provinces, il y a des choses qui se passent :

·         En Colombie-Britannique, le gouvernement a créé un comité consultatif sur l'entrepreneuriat social[9]

·         Au Manitoba, le gouvernement a adopté le crédit d'impôt pour Quartiers vivants, qui s'adresse aux entreprises.[10]

Investissement social

Voici les noms de trois entités qui investissent activement dans des corporations sociales :

·         Grey Ghost Ventures, fonds d'investissement social qui représente 35 millions de dollars et qui a son siège à Amsterdam

·         Social Innovation Fund, financement de 50 millions de dollars accordé par le gouvernement américain pour des entreprises sociales à but non lucratif

·         Renewal2, fonds d'investissement social qui représente 35 millions de dollars et qui a son siège au Canada

Croissance du marché

C'est le Royaume-Uni qui a fait la recherche la plus exhaustive sur le marché des entreprises sociales. Voici quelques statistiques qui mettent en évidence l'évolution de ce secteur.

·         En 2010, 200 millions de livres ont été investies dans des corporations sociales britanniques.

·         Ce secteur représente une contribution annuelle à l'économie de 24 milliards de livres -- ce qui correspond à 1,5 % du PIB de la Grande-Bretagne --, conformément à la définition officielle de l'entreprise sociale que le ministère britannique des entreprises, de l'innovation et des compétences utilise dans son enquête auprès des petites entreprises [11];

·         Contribution positive au marché de l'emploi. Les entreprises sociales emploient à elles seules au moins 800 000 personnes en Grande-Bretagne, et leur contribution est d'autant plus précieuse qu'elles opèrent dans des secteurs défavorisés et qu'elles offrent des possibilités d'emploi à des groupes traditionnellement exclus.[12]

·         Il existe plus de 55 000 entreprises sociales et sociétés d'investissement communautaire au Royaume-Uni[13]

·         Royaume-Uni, les investissement et les dotations à des fins caritatives représentent à eux seuls près de 95 milliards de livres. Il suffirait que 5 % de ces avoirs, 0,5 % des avoirs gérés par des institutions et 5 % des sommes investies par les particuliers dans des comptes d'épargne britanniques soient canalisés vers l'investissement social pour qu'on obtienne une nouvelle capacité de financement d'environ 10 milliards de livres.[14]

·         Une corporation sociale moyenne emploie 10 personnes, ce qui est comparable aux petites entreprises traditionnelles à but lucratif.[15]

Recommandations

Nous proposons sept recommandations pour que le Canada s'aligne sur les normes internationales.

1.    Créer une entité chargée d'examiner l'efficacité à la fois des incitatifs fiscaux qui encouragent l'investissement social et financier et du dispositif réglementaire et législatif qui régit l'investissement social.

2.    Établir une nouvelle catégorie d'entreprise qui tienne compte des différences qui existent entre les entreprises traditionnelles et les corporations sociales. Les dispositions législatives adoptées dans ce sens devraient :

a.    prévoir des programmes de subventions et de développement commercial pour aider les corporations sociales à trouver le soutien dont elles ont besoin pour être prêtes à investir;

b.    permettre aux fondations privées d'investir dans des corporations sociales à but lucratif dans le cadre de leur contingent de versements et/ou de leur portefeuille d'investissement;

c.    offrir des incitatifs et des garanties aux investisseurs désireux d'investir dans des corporations sociales à but lucratif.

3.    Modifier la liste des renseignements demandés aux organismes qui réclament le statut d'organisme caritatif et celle des données qu'ils doivent communiquer chaque année à l'ARC. À l'heure actuelle, l'ARC leur demande des renseignements qui ne sont pas ceux que les donneurs ont vraiment besoin de connaître avant de faire un don de charité (il n'y a pas que l'aspect financier).

4.    Créer un programme d'obligations sociales qui servira à financer des services publics comme les prisons, où le RI financier tiendrait compte du nombre de détenus réhabilités et des taux de récidivisme.

5.    Créer une banque d'investissement social semblable à celle que le Royaume-Uni est en train de mettre sur pied. La « Big Society Bank » s'occupera avant tout d'attirer de nouveaux investissements et d'accélérer la croissance du marché. Mais la Bank dispensera aussi conseils et assistance et servira d'intermédiaire précieux entre les corporations sociales et les sources d'investissement. Au final, elle aidera les corporations sociales à bâtir une société plus forte. »[16]

6.    Mettre en œuvre un programme d'incitatifs à l'emploi afin d'aider les nouveaux diplômés et d'encourager le recyclage pour des emplois dans des corporations sociales, afin que celles-ci puissent recruter ces personnes malgré les risques.[17]

7.    Nommer un ambassadeur de la philanthropie au sein du gouvernement. Cette personne aurait pour mandat de représenter les intérêts des donneurs et des investisseurs sociaux.

Quelques mots sur l'auteur

Gena Rotstein est P-DG de Dexterity Ventures Inc., société qu'elle a créée en janvier 2008. Elle est aussi la fondatrice de la première société de courtage philanthropique au Canada - Dexterity Consulting et le SEDAR des organismes caritatifs – Place2Give.com. Titulaire d'une maîtrise en gestion à but non lucratif et en service communautaire juif, elle a aujourd'hui plus de 15 ans d'expérience dans le secteur des organismes caritatifs. Ses travaux ont été publiés dans de grandes revues internationales et ont aussi été utilisés par les réseaux d'information.

Bibliographie

BERR (2007) Annual Small Business Survey 2006/07. Londres : BERR, disponible à : http://bis.ecgroup.net/search.aspx

Bridge and Corriveau, “Legislative Innovations and Social Enterprise: Structural Lessons for Canada”, fév. 2009

Bromberger, Allen, “The New Type of Hybrid,” Stanford Social Innovation Review, printemps 2011

Edwards, Michael, “Philanthrocapitalism – ‘Oil and Water or the Perfect Margarita?’ Where is the ‘Social’ in ‘the social economy?’” The Philanthropist, 2009, volume 22, 2

Ellison & Hall, “Strength, Size, Scope: A Survey of Social Enterprises in Alberta and British Columbia” BC-Alberta Social Economy Research Alliance (BALTA), 2010

Pearce, “Social Enterprise in Any Town,” Calouste Gulbenkian Foundation, R.-U.; 2003.

Reis, Tom “Unleashing Entrepreneurship for the Common Good,” W.K. Kellogg Foundation, 1999.

The MaRS Institute – “Social Entrepreneurship Series: Legislative Innovations”, février 2010.

Websites

http://www.centreforsocialenterprise.com/f/Legislative_Innovations_and_Social_Enterprise_Structural_Lessons_for_Canada_Feb_2009.pdf

http://isis.sauder.ubc.ca/files/2010/10/Social-Enterprise-Employment-Report-Web.pdf

http://www.scribd.com/doc/48914695/Growing-the-Social-Investment-Market

http://www.aletmanski.com/al-etmanski/2011/01/bc-government-establishes-advisory-councilon-social-entrepreneurship.html

http://www.kustomdesign.ca/article-list/172-manitoba-neighbourhoods-alive-tax-credit-forcorporations.html

http://www.startups.co.uk/social-enterprise-statistics.html

http://www.granvilleonline.ca/sustainability/vancouver-social-venture-network-gathering

http://www.bcorporation.net/become/BRS

http://www.whitehouse.gov/blog/what-is-the-social-innovation-fund/



[1]      Centre for the Advancement of Social Entrepreneurship

[2]      Bridge and Corriveau, "Legislative Innovations and Social Enterprise: Structural Lessons for Canada", fév. 2009; http://www.centreforsocialenterprise.com/f/Legislative_innovations_and_Social_Enterprise_Structural_Lesssons_for_Canada_Feb_2009.pdf

[3]      Pearce, "Social Enterprise in Any Town,", 2003. Publié par la Calouste Gulbenkian Foundation, R.-U; www.centralbooks.co.uk

[4]      Le MaRS Institute a fait une étude exhaustive du rôle des B-Corps (corporation de bienfaisance) et des L3C (entreprises à faible profit et à responsabilité limitée) dans son livre blanc - "Social Entrepreneurship Series: Legislative Innovations", février 2010.

[5]      http://www.whitehouse.gov/blog/what-is-the-social-innovation-fund/

[6]      http://www.bcorporation.net/become/BRS

[7]      http://www.scribd.com/doc/48914695/Growing-the-Social-Investment-Market

[8]      http://www.granvilleonline.ca/sustainability/vancouver-social-venture-network-gathering

[9]      http://www.aletmanski.com/al-etmanski/2011/01/bc-government-establishes-advisory-council-on-social-entrepreneurship.html

[10]   http://www.kustomdesign.ca/article-list/172-manitoba-neighbourhoods-alive-tax-credit-for-corporations.html

[11]   BERR (2007), l Annual Small Business Survey 2006/07. Londres : BERR, disponible à http://bis.ecgroup.net/search.aspx

[12]   Ibid.

[13]   http://www.startups.co.uk/social-enterprise-statistics.html

[14]   http://www.scribd.com/doc/48914695/Growing-the-Social-Investment-Market - p. 17.

[15]   Cette statistique est extraite de données britanniques de 2007; un aperçu des entreprises canadiennes révèle la même évolution.

[16]   http://www.scribd.com/doc/48914695/Growing-the-Social-Investment-Market - p. 7.

[17]   http://isi.sauder.ubc.ca/files/2010/10/Social-Enterprise-Employment-Report-Web.pdf